Jean Michel Jarre

Encensé ou décrié, Jarre (comme Johnny) ne laisse personne indifférent. Mais qu’on aime ou pas, il faut bien reconnaître qu’il est le musicien français le plus connu dans le monde (ses mega concerts y étant pour quelque chose…).

De fait, Jarre cultive le paradoxe, aussi bien sur sa personne qu’à travers son œuvre. D’un côté il affiche une mégalomanie incroyable mais qui finalement lui réussi (c'est le plus grand "showman" de la Terre...), mais de l’autre il est aussi ambassadeur de l’Unesco et il n’a pas attendu d’être célèbre pour militer en faveur de l’écologie… Et c’est pareil pour l’artiste : musicien limité sur le plan du jeu, il compose des thèmes à la hauteur de ses moyens et cette simplicité mélodique qui est aussi l’apanage de Vangelis rend sa musique « universelle » car accessible à tous. Dans ses premiers albums il a su faire une force de ses faiblesses, mais le danger permanent c’est de tomber dans la facilité ; passer du « simple » au « simpliste ». Un écueil qu’il n’esquivera pas toujours; ses détracteurs l’accusant alors de faire « de la musique d’ascenseur » autrement dit de la merde. Alors que penser ? 
Si on analyse objectivement tous ses albums, il ressort très nettement les points suivants :

  • La production est toujours fabuleuse: Quelque soit le contenu, Jarre, ça « sonne ». C’est clairement un producteur exceptionnel. 
  • C'est un boulimique du travail doublé d'un véritable passionné des synthés. De ce côté il est totalement sincère sur son investissement musical: la musique et les spectacles, c'est tout simplement sa vie.
  • Jarre a toujours su s’entourer des bonnes personnes : Michel Geiss (sans lequel Oxygene et Equinoxe ne seraient sûrement pas ce qu’ils sont), Frédéric Rousseau (un king des synthés analogiques), Dominique Perrier (fabuleux clavier, auteur de tous les solos), Francis Rimbert,… les meilleurs spécialistes de France, sans oublier les autres pointures : Marcus Miller, Patrick Rondat, Sylvain Durant… Toute une armée de killers au service des idées d’un seul homme…
  • Les compositions : C’est là tout le problème du bonhomme car son inspiration est totalement aléatoire et dans un même album il n’est pas rare de trouver un bon morceau suivi d’un titre "facile" (dont la plupart des tubes et leur rengaine franchement indigeste).

 

Conclusion : Jarre ne joue pas dans la même cour que Vangelis ou Oldfield qui sont avant tout des instrumentistes hors normes et des mélomanes surdoués. Je le vois plutôt comme un musicien/producteur façon Alan Parson (ou Giorgio Moroder). Il est à la musique ce que le réalisateur est au cinéma (ou l’était Hergé pour la BD), il signe de son nom le résultat d’un travail + ou – collectif...  Mais de toute façon il y a vraiment un style "Jarre", c'est une école à lui seul comme la Berlin School dont il se démarque singulièrement (moins dark ou rock; plus pop et accessible).

 

Discographie: Sa musique a suivi les évolutions technologiques, mais pourtant Jarre reste l’homme d’Oxygene et d’Equinoxe. Personnellement je trouve que sa musique était intéressante jusqu’en 1986 (RDV) et que par la suite, il n’a fait que se répéter en moins bien jusqu'à récemment.

1976 : Oxygene : Bricolé à la maison avec peu de moyens et l’aide de Michel Geiss (technicien et musicien talentueux), cet album est pourtant le meilleur de Jarre : un chef d’œuvre de l’elektronika à plus d’un titre : des thèmes simples qui font mouche, des sonorités magnifiques (c’est plus un album où les textures de l’Eminent 310U prédominent qu’un album de synthés) et une production aérée qui a fait école (la musique semble « flotter dans l’air »). L’ensemble est d’une rare homogénéité et tout le disque s’écoute d’une traite sans jamais lasser. Jarre se distingue du krautrock par une approche moins chargée : des thèmes méticuleusement composés plutôt que des improvisations (sauf Oxygene V très « berlinois » justement) et des arrangement bien propres où tout est en ordre plutôt qu’un empilements de séquences et bruitages. La nouvelle version (3D) ne remplace pas l’originale (qui conserve toute sa magie) mais s’impose comme un complément indispensable..

1978 : Equinoxe. Jarre avait placé la barre très haut, et pourtant Equinoxe est presqu’aussi bon qu’Oxygene. Une production plus fournie mais toujours très ordonnée ; Equinoxe est aussi « aquatique » qu’Oxygene était « aérien »: l’Eminent est toujours là mais les séquences de l’ARP 2600 se taillent la part du lion (grâce au  matriséquenceur conçu par M. Geiss qui signe également la superbe ligne de basse d’intro d’Equinoxe 7). Malheureusement, si le son et la production sont de toute beauté (« l’école Jarre » est définitivement établie); les compos sont inégales : le thème d’Equinoxe 3 me fait penser à une fête foraine ; le « tube » Equinoxe 5 et sa rengaine ne vaut pas Oxygene 4, Equinoxe 8 est un morceau de remplissage avec son orgue de barbarie (en total hors sujet) et la reprise du thème d’Equinoxe 5 (une démo du korg PE-2000?). Jarre montre déjà ses limites de compositeur, par contre son travail sur le son reste magistral.

1981 : Chants magnétiques est du même acabit qu’Equinoxe : un travail sonore remarquable où l’OBX remplace l’Eminent et où les ARP2600 et AKS croisent les balbutiements du premier fairlight. L’album est plus énergique que ces prédécesseurs et les séquences sont pleines d’electricité ! Malheureusement, à côté de passages très inspirés, on trouve également une horreur comme Chants magnétiques 2 (un générique pour Guy Lux ?) et enfin la « dernière rumba», un morceau de bal à papa joué intégralement avec les accompagnements automatiques de l'Elka 707: si c'était une blaque, c'est raté !

1982 : Concerts en Chine. Après un premier grand concert en play back place de la concorde, Jarre trouve son credo et expose cette belle technologie aux yeux de la Chine qui s’éveille (depuis, les chinois ont fait bien plus que se s’éveiller…). Bien que l’album ait été partiellement refait en studio (soit disant à cause de la mauvaise qualité de l’enregistrement initial) ; ce double est le meilleur live de Jarre : de très bons inédits (l’intro avec le superbe solo de D Perrier au Prophet 5, « arpegiator » digne de Tangerine Dream, l’intro à l’OBX d’Equinoxe…) et d’excellentes versions d’Equinoxe et Chants magnétiques. La présence d’un « vrai » batteur à la Simmons SDS5 confère un feeling plus rock à l’ensemble. Même l'immonde chants magnétiques 2 est ici à peu prés audible. Mon préféré avec Oxygene.

1984 : Zoolook. Comme nombre de ses confrères, Jarre abandonne l’analogique pour le numérique et en particulier le fairlight CMII (dont il est le premier acquéreur en France, suivi par Balavoine). Très novateur, l’album est sans nul doute le meilleur exemple de « sampling créatif » où le sampler ne sert pas à piller des œuvres existantes, mais bien à créer de la matière sonore. Le travail effectué sur les voix est colossal et reste insurpassé à ce jour. Les compos sont plutôt bonnes dans l’ensemble (même Zoolook, le « tube » de l’album) et bénéficient du soutien de Marcus Miller à la basse et Laurie Anderson. Moins planant, plus « rock » et un peu bordelique (un tantinet « underground »), c’est un album majeur à redécouvrir.

1986 : Rendez-vous. Overdose de sampling ? Jarre souhaite revenir aux synthés ; toutefois il ne renoue pas avec le style séquencé. Les synthés midi et polyphoniques sont désormais légions et Jarre s’adapte ; on est ici plus proche d’une orchestration conventionnelle. Les qualités et défauts récurrents de Jarre se retrouvent sans surprises: de belles sonorités (Elka Synthex en tête), une production léchée, de bons morceaux et une bonne bouse (RDV4).

1988 et après : A partir de « Révolutions », Jarre entame une grande traversée du désert… Si la production reste toujours excellente, sur le plan des compos c’est assez médiocre. Seuls Oxygene 7-13 (des morceaux « old school » réussis mais en deçà de l’original) et « Session 2000 » du jazz electro sympa, sortent du lot.

« Aero » et renouveau: Après s’être totalement perdu à tous les niveaux (Adjani/Geometry of love…mais qu'est ce que c'est que cette pochette hein??) ; Jarre retourne aux sources avec un très bon album d’anciens morceaux re-enregistrés avec les synthés d’origine puisqu'il les a tous conservés. Fort de ce succès, il enchaîne avec « Oxygene 3D » où on le voit œuvrer en direct sur ses prestigieux collectors (dont certains ont visiblement ramassés des coups..). Suite logique, il applique le concept à ses meilleurs morceaux d’Oxygene à Révolutions lors d’une tournée extensive. J’étais au Nikaia de Nice le 20 mars 2010 et mis à part le niveau sonore franchement excessif (des gens ont dû quitter la salle avant que leurs oreilles ne saignent!); tout le reste était à la hauteur : un son analogique bien présent, de très bonnes versions même si les arrangements étaient plus légers que ceux des albums (moins d’effets…), a priori pas (ou peu) de play back (un vrai live donc…), un light show démentiel (j'ai jamais rien vu d'aussi beau...), une track-list conséquente (le show est très long), des musiciens en forme (D Perrier, énorme… ; Jarre pas trop mauvais ; bref, vivement le DVD pour pouvoir revivre l’évènement sans mettre des boules quies. Le meilleur Live depuis Les Concerts en Chine ?

2015: Jarre va à la rencontre de plusieurs générations de musiciens qui ont un lien direct ou indirect avec la musique électronique. Il s'agit d'un album de collaborations qui apporte une bonne dose de fraîcheur à sa musique. Cela aurait pu être anecdotique mais il se trouve que c'est excellent! Le virage synth pop (comme avec les pet shop boys ou gary numan) est même incroyablement bon; ainsi que certains titres comme l'intro et celui avec Carpenter. Alors on se prend à rêver d'un duo avec Oldfield, Vangelis, Thomas Dolby, Sakamoto, Karl Bartos, Chris Frank, Schulze... Allez Jean Michel, fonce!