Roland Juno 6 / 60

En 1981, Roland surprend tout le monde avec son Jupiter 8 qui s’impose instantanément dans le club très fermé des « grands » polyphoniques analogiques, à côté du Prophet 5, de l’OBX, du CS-80, de l’OBX-a, du Synthex, du PPG 2.2, du Memorymoog. Beau, puissant, complet ; Roland prouve son savoir faire avec un synthé au son radicalement différent de ses rivaux américains (on aime ou non…). Cependant, son prix le destinait (déjà) à une élite fortunée ; alors la firme  japonaise a eu l’idée de sortir une version simplifiée à un prix « grand public »… 

 

Juno 6 et  60 : Ces claviers démocratiques furent nommés « Juno » par référence à la série « Jupiter » qui constitue le haut de gamme (Junon est l’épouse de Jupiter, le roi des Dieux de l'Olympe). Le Juno 6 (6 voies) sort en 1982, mais c’est un synthé sans mémoire (c'est pourtant la norme en 1982). Roland le refabrique quelques mois plus tard en y ajoutant 54 emplacements mémoires et une prise DCB (pour l’interfacer avec une TR-808): il devient alors le Juno 60. Sur le plan sonore les deux sont strictement identiques (contrairement au 106 et alpha/MKS-50).

 

Son of Jupiter ? : Pour limiter les coûts de fabrication, Roland a revu à la baisse certaines caractéristiques du Jupiter 8, mais attention, bien que partageant de nombreux composants, il ne s’agit pas d’une version au rabais mais plutôt d’un autre synthé avec sa propre identité. A l’évidence, les deux ne sonnent pas pareil et nombre de possesseurs de JP8 ont aussi un Juno (un peu comme le Prophet 5 et le One ou le 600).

 
Inside the beast : Il faut dire que Roland a parfaitement réussi son coup : le Juno 6 est chaud (« fat ») et péchu. Il sait (presque) tout faire avec une qualité digne des plus grands. Pourtant ses caractéristiques ne sont pas extraordinaires (comme le minimoog), seulement voilà, chaque module est d’une efficacité hors norme et Roland a rajouté quelques goodies qui au final en font un instrument fabuleux. 

- Oscillateurs : Le Juno propose un unique DCO par voie contre 2 VCO pour le Jup. C'est certainement la principale différence. La ruse pour contourner cette limitation et ne pas paraître trop fluet, c’est de pouvoir jouer les ondes saw et pulse en même temps (comme les prophet) et qu’en plus il dispose d’un sub oscillator (un square à l’octave inférieure) pour des basses très prononcées. 

- Filtrage : Le LPF du Juno est un 24 db 4 pôles superbement efficace qui n’a rien à envier à celui du Jup car basé sur le même circuit (IR3109). Sur le Juno il n'y a pas de mode 12db par contre il entre en auto oscillation lorsqu’on pousse la résonance ; un grand « plus » qui autorise des FX ou des sweeps grandioses! Autre bienfait, Roland a conservé le filtre passe haut statique du JP8, très pratique pour gommer des basses envahissantes... 

- VCA: Les VCA du Juno sont les mêmes que ceux du JP8 (BA662).

- Enveloppes : Le Juno ne possède qu’une enveloppe ADSR pour le filtre et le VCA (2 sur le JP8), mais quelle enveloppe! C’est certainement l’une des plus rapides qui soient toutes machines confondues. Elle est responsable à 80% de la réputation du synthé. Comme pour le JP8, elle est basée sur l'IR3R01, mais elle est encore plus nerveuse sur le Juno (est-ce dû à la simplication des circuits?).

Les IC responsables de la "patte" du Juno...
Les IC responsables de la "patte" du Juno...

- Modulation : Le Juno possède un LFO assignable au pitch, au PWM et au cutt off du filtre. Il est possible de retarder son action par un delay réglable. Une possibilité qu’on aimerait bien retrouver dans d'autres synthés…

- Arpegiateur : L’arpégiateur du JP8 est une merveille qui en plus mémorise l’ordre des notes jouées… Pas celui du Juno : il joue les accords dans le sens montant, descendant ou alterné (pas de mode random, dommage…). Grâce à la touche « Hold», l’accord reste mémorisé jusqu’à une nouvelle pression sur le clavier ; bref le synthé joue tout seul (c’est ainsi que les arpèges ou les lignes d’octaves basses des années 80 étaient produites…). Enfin une entrée « clock » permet de synchroniser l’arpégiateur sur une BAR, un séquenceur externe ou une interface Kenton. Là aussi simplicité et efficacité sont de mises.

- Chorus : Encore un « plus » du Juno. Afin de grossir le son, Roland a repris l'idée du Jupiter 4 et offre un effet intégré ; et damned quel effet ! Ce chorus totalement analogique (MN3009/MN3101 BBD) est incroyablement bon et c’est grâce à lui que le Juno sonne aussi « fat ». Il n’est pas réglable, mais ses 2 « presets » (cumulables) permettent d’obtenir des basses extraordinaires ou de superbes texture (pads, strings). A ma connaissance il n’existe pas de chorus équivalent en stand alone ; et même le fameux Roland Dimension D ne sonne pas aussi bien avec le Juno. Son seul défaut c’est qu’il produit un souffle parfaitement audible (mais qui passe inaperçu dans un mix).

- Connectique: Grâce à leur prise DCB (un format propriétaire, ancêtre du midi), les Juno 60/JP8 sont pilotables en midi avec une interface Kenton . Pour le 6 (ou les premiers JP8), il faut au préalable installer un kit DCB. C’est très facile à faire, le plus dur étant de percer les trous dans la carapace métallique du synthé! On constate au passage que la broche DCB existe sur la carte mère, ce qui tend à prouver que le Juno 6 a sans doute été sorti dans la hâte et que le 60 est bien la version définitive du synthé. On peut aussi les « midifier » directement en interne, mais le kit kenton est hors de prix (400€)….

 

D'abord on perce un trou...
D'abord on perce un trou...
On fixe la prise et on repère la broche DCB.
On fixe la prise et on repère la broche DCB.
On fixe la carte et on soude les 2 câbles d'alim sur la carte mère.
On fixe la carte et on soude les 2 câbles d'alim sur la carte mère.

Par rapport au Jupiter 8, le Juno se défend incroyablement bien. Certes, il n’est pas aussi complet (pas d'unisson ni de portamento) et le JP8, grâce à ses 2 VCO par voie, lui reste supérieur pour les brass, les gros stacks de synthés, les leads à la Prophet 5 (avec la synchro des oscillos) ; mais pour les reste le Juno est tout aussi bon, sinon meilleur, surtout lorsqu’on utilise le chorus. D’ailleurs beaucoup d’utilisateurs préfèrent les basses ou les pads du Juno. On peut également produire des sons impossibles à faire sur le Jupiter (et vive versa). Pour clore le débat, il faut les considérer comme deux machines bien distinctes, même si elles ont un air de famille (ça sonne "Roland"). Il semblerait que malgré des composants identiques; la différence au niveau des oscillateurs et les choix faits dans le Juno ont finalement aboutis à un synthé assez différent de son modèle... A chacun de se faire son opinion en dehors de toute polémique et pour cela il faut les tester en vrai et ne pas se contenter des idées reçues… Pour ma part (et je suis loin d’être un cas isolé) je préfère nettement David à Goliath, surtout à 3000€ d’écart ! 


Par rapport à la concurrence: Dans sa catégorie de prix, le Juno ne souffre aucune concurrence chez les analos polyphoniques (sauf le P600 avec le nouveau firmware); il écrase ses rivaux grâce à ses enveloppes ultra rapides (comme le prophet 08) et un son "fat" au possible. Il est même meilleur pour les basses que nombre de synthés monos… Seuls les mastodontes de la synthèse lui sont supérieurs et encore, le Juno tire son épingle du jeu (comme le JP8, il ne sonne pas "américain"...) et c’est à juste titre qu’on le retrouve souvent entre les "gros" analos (quand on a les moyens, on ne fait décemment pas l’impasse sur un « petit » Juno !).


Finalement, à part la synchro des oscillateurs et l'absence de portamento, on peut quasiment tout faire avec un Juno ! C’est une machine versatile qui produit des arpèges de toute beauté, des FX sidérants, des petits sons façon kraftwerk ; bref tous les classiques de l’analogique (à voir absolument les vidéos de Mik300z dont les covers de Vangelis et Tangerine Dream laissent pantois...). 

En plus le clavier est beau, costaud et particulièrement agréable à programmer (on arrive vite au résultat voulu et l’absence de mémoires n’est pas un réel handicap).

 
Le Juno 6 ou 60 demeure aujourd’hui encore le meilleur rapport qualité prix de l’analogique polyphonique. Avec le D50, c’est l’autre « must have » de chez Roland. A mon sens, le setup analogique idéal pour débuter ; c’est un Juno et un Pro One.

 

- les +: le prix, les possibilités, la fiabilité, le son, tout...

- les -: pas de portamento.